Djénébou DANTE veut révolutionner le sport au Mali

JOURNAL DE BORD D'UN ATHLÈTE

Réalisé par Trackandmemes, le 12 janvier 2022

Je m’appelle Djénébou Danté. Je suis une athlète de haut niveau originaire du Mali. J’ai commencé l’athlétisme en 2003 donc je cours depuis 19 ans. Je fais beaucoup de compétitions. J’ai couru en Afrique, en Europe, en Asie et en Amérique. J’ai fait les championnats du monde toutes catégories donc cadet, junior et sénior, autant en salle qu’à l’extérieur. J’ai également fait les Jeux à deux reprises. Médaillée d’or aux jeux de la francophonie pour mon pays, j’ai aussi obtenu beaucoup de médailles west-africaines.

À l’origine, je faisais du basketball. Jusqu’à aujourd’hui, c’est ce sport que j’aime. Mais si j’avais continué le basketball, je n’aurais peut-être pas eu le même niveau que j’ai actuellement.

Quels sont tes records personnels ?

Je cours le tour de piste en 52’16’’. J’ai un record en 11’76’’ au 100 mètres et 23’83’’ au 200 mètres.

Tu as atteint le haut niveau, mais restes à ce jour sans sponsor… Y a t-il une raison à cela ?

Je n’ai pas eu de manager. Il y a deux ans j’étais blessée, et à mon retour je n’avais pas de manager pour me faire rentrer dans les grandes compétitions afin que l’on puisse me remarquer. Si tu arrives à être vu dans les grandes compétitions, alors tu es mis en valeur… Je pense qu’au niveau des sponsors, le niveau ne suffit pas. Il faut avoir un bon manager. Mais dans un premier temps, tu peux avoir les équipements, ce qui va énormément t’aider. Et ensuite, si tu fais de belles performances, ils te payent. Je ne suis pas française non plus, ce qui rend la chose un peu plus compliquée. J’ai fait des demandes auprès des marques, mais elles m’ont dit que je devais demander à ma fédération de faire la démarche à ma place, car les marques vers qui je me suis tournée ne sponsorisent pas une personne, mais une fédération. Je pense que c’est parce que je m’y suis présentée en tant qu’athlète. Si j’avais eu un manager, il allait négocier pour moi et j’aurais peut-être obtenu quelque chose. De plus, par la suite, je me suis blessée et c’était compliqué de revenir au même niveau qu’avant.

Tu as eu l’occasion de faire les jeux de 2020 (en 2021) à Tokyo, sur une discipline autre que celle qui t’es attribuée. Comment ça s’est passé ?

C’était compliqué… J’ai le seum jusqu’à aujourd’hui… Je me suis demandée ce que je suis partie faire aux JO, et pourtant, c’était mon rêve d’aller là-bas. Après m’être entrainée pendant cinq ans sur 400 mètres, en deux semaines, je me suis retrouvée sur 100 mètres… C’est difficile à explique car il y a les fédérations… À l’origine, je n’étais pas qualifiée, car je n’avais pas fait les minima. La performance à réaliser pour accéder aux Jeux était 51’35’’. Et ceux qui avaient fait les minima étaient prioritaires sur leur propre discipline. Mais les pays qui n’ont pas de qualifiées, comme c’était le cas de mon pays, obtienne une « White Card ». Cela signifie que, comme ce sont les Jeux olympiques, tous les pays doivent y être représentés. Donc ils donnent deux White Card aux pays qui n’ont pas de qualifiés afin de les représenter. Je me suis donc retrouvée avec d’autres athlètes non qualifiés ; deux athlètes de courses à pied, un athlète de taekwondo, et un nageur. Mais ma fédération m’a mise sur 100 mètres…

Tu intègres récemment un nouveau groupe d’entraînement, la Bamteam, coachée par une des mères de l’athlétisme, Carole Bam. Ça se passe comment ?

C’est un rêve qui s’est réalisé. Cynthia est l’athlète de coach Carole. Cynthia est aussi une amie à moi que je connais depuis 2015, car elle partait s’entrainer au Sénégal avec nous. On a aussi fait deux fois le meeting de la Côte d’Ivoire. On a fait des compétitions ensemble. On avait à peu près le même niveau avant sa blessure. Elle a fait deux années de blessures… C’était triste, c’était compliqué… Mais cette année, elle est revenue et elle a étonné tout le monde ! Je la félicite ! Elle revenait d’une blessure très difficile et elle a tout pété ! Je me dis que si je m’entraine avec elle, ça va me booster. On s’est vu aux JO et c’est là-bas que j’ai discuté avec la Mama coach (Carole BAM). On en a conclu que m’entrainer avec Cynthia allait m’aider, car je n’ai personne pour me tirer aux entrainements. L’entrainement du 400 mètres est parfois difficile à réaliser seul… A un certain niveau, tu n’arrives pas à te faire mal comme il faut. Mais si tu as quelqu’un qui te pousse, qui te met un peu de pression, tu pètes tout. Tu progresses. Le 400 mètres, c’est une question de répétitions. À chaque fois tu es lactique et tu t’habites. Le chrono finit par sortir en compétition. Cynthia, c’est une battante. Elle n’a jamais baissé les bras, elle a toujours continué à bosser. Et coach Carole, c’est une femme. C’est mon idole ! Je suis un peu féministe, et en voyant leur parcours à toutes les deux, ça m’a inspirée. Je veux être comme elle, comme Carole BAM. Peut-être que dans le futur je coacherais également des champions et des championnes. En plus, quand j’ai intégré la BamTeam, j’ai directement remarqué qu’il y avait une jeunesse pleine d’énergie, qui est prête à tout péter. Je me suis dit « waouh ! ».

Des projets pour le futur  ?

Devenir coach… Mais j’ai également créé mon association l’an dernier en France. Elle s’appelle 4D Mali. « D » comme Djénébou, Danté, Développement et Durable. Donc, Djénébou Danté pour le développement durable au Mali. Le but est d’accompagner, surtout les filles, sur la santé, l’éducation et le numérique. Dans mon pays, l’athlétisme n’est pas à la mode ni considéré comme un sport que les femmes peuvent pratiquer. Car en faisant de la musculation, les gens nous trouvent trop musclées et nous comparent aux hommes. C’est difficile d’avoir un mari, sauf si tu te mets avec un sportif. Ce qui est grave, c’est que les filles abandonnent les études au profit de ce sport. Et l’athlétisme, ça ne paye pas si tu n’as pas un niveau mondial. Si tu es blessé, tout le monde te laisse ; tes sponsors, ta fédération… Donc tu risques de sortir perdant, car tu n’auras rien. Ni performance, ni sponsor, ni argent… C’est comme ça dans tous les sports, mais dans l’athlétisme c’est encore pire. C’est un sport où lorsque tu brilles, tout le monde vient vers toi. Même les meetings t’écrivent. Mais quand ça ne va plus, tout le monde te laisse, car tu ne cours plus vite. Les managers te laissent, car ils ne peuvent plus t’emmener dans les meetings où ils gagnent leur pourcentage. Les marques te laissent, car tu ne peux plus les représenter dans de grandes compétitions… Il vaut mieux avoir un diplôme, quelque chose dans la tête, car peu importe ce qu’il se passera, au moins tu auras un diplôme. J’aimerais accompagner les filles à ce niveau-là… En Afrique, ce sont les femmes qui sont les piliers de la famille. Elles s’occupent des enfants, les éduquent, prennent soin du mari, de la belle famille… Mais si tu ne sais pas lire et écrire, ce sera compliqué, car tu ne pourras pas servir à ton foyer. Je travaille avec l’UNICEF Mali pour accompagner les filles sur l’éducation. D’abord l’école, et ensuite le loisir (sport). J’aimerais les accompagner autant sur le plan scolaire que sportif. Je serais là en tant qu’aide, conseillère et coach. J’aimerais également organiser des compétitions au Mali pour repérer des talents et les recruter. Ainsi, l’association pourra les accompagner en finançant leurs études, leur offrir des équipements, leur trouver un club en Europe pour qu’elles puissent faire des compétitions et,ou, des formations. Grâce à mon club, j’ai collecté des chaussures, des vêtements, des fournitures scolaires pour les donner aux clubs afin que ceux-ci puissent les distribuer aux athlètes qui en ont besoin. Dans mon enfance, je sais que je ne pouvais pas m’acheter de paires de pointes, donc si j’arrive à leur donner une paire de spikes, des t-shirts,… Ils se diront peut-être « Waouh… Elle m’a donné ça ». Quand tu n’as pas grand-chose, je sais ce que ça vaut d’avoir une paire de pointes. À leur âge et à leur niveau, j’aurais été tellement contente. Je me serais dit « Si je progresse encore, elle me donnera plus ». Je veux les accompagner à percer, et ensuite, la performance leur ouvrira des portes.

Au niveau du financement, il faut payer les compétitions, les équipements, les bénévoles… Il faudrait également former les entraineurs ! Si je retourne chez moi au Mali, je n’ai pas d’entraineur… J’ai besoin de fonds pour tout ça, mais pour le moment, je n’ai rien. Je cherche actuellement de l’aide.

Un dernier mot  ?

Je suis très contente d’être dans la BamTeam. Grâce aux jeunes dynamiques qui y sont présents, la BamTeam est la Team qui a de l’avenir. Ce n’est pas facile, mais il faut juste croire et bosser. Tout est possible.

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