En Belgique, un athlète valide est trois fois plus valorisé qu’un athlète paralympique

JOURNAL DE BORD D'UN ATHLÈTE

Réalisé par Trackandmemes, le 2 juin 2023

Roger Habsch, déjà recordman du Monde sur 100m, une première fois en 19’’ 68 l’an dernier lors des championnats de Belgique, et récemment en 19’’ 32 à l’occasion du Memorial Daniela Jutzeler en Suisse, ne cessera jamais de nous impressionner. Des objectifs, Roger en a, comme se qualifier aux Jeux paralympiques qui auront lieu à Paris en 2024. Le genre de compétition que notre athlète belge connaît déjà, puisqu’il est reparti avec deux médailles de bronze lors des Jeux de Tokyo 2021, l’une sur 100m et l’autre sur 200m.

Mais dans l’athlétisme belge, viser la performance, avec ou sans handicap, n’est pas toujours chose facile. Et ça, Roger peut en témoigner.

Roger BASCH, photographié par Gilles Dehérand

Être athlète paralympique en Belgique ça signifie quoi en termes d’opportunités et difficultés ?

En termes d’opportunités, c’est compliqué. Car le sport en handisport reste encore dans l’ombre des valides. Il y a un problème au niveau de la communication et de la promotion du sport. D’un point de vue média, on en parle beaucoup plus qu’avant, mais ce n’est pas encore assez par rapport aux valides.

Pour les Jeux par exemple, il y avait des journalistes présents pour interviewer les valides aux mondiaux de foot, mais il n’y avait plus de personnel pour couvrir la partie paralympique.

C’est vraiment dommage. Et ça reste encore tabou. Il y a beaucoup de gens qui ne regardent pas et qui ne connaissent tout simplement pas notre handicap.

Les opportunités se font par rapport aux personnes qui sont assez ouvertes d’esprit.

Et au niveau de la LBFA ?

Je suis enregistré à la LBFA pour le dossard, et pourtant, parmi les athlètes Élites repris sur le site, il y a Cynthia Bolingo, Anne Zagré, Camille Laus, … Je ne suis pas sur le site, or je suis moi aussi Élite.

D’ici quelques dizaines d’années, ça changera. Mais pour le moment…

Ce genre d’inégalité se retrouve-t-il également au niveau financier ?

Oui. Pour les primes par exemple, un athlète valide médaillé d’or aux Jeux de Tokyo gagnait 50 000€, tandis qu’un athlète handicapé en gagnait 15 000€, avec la même médaille autour du cou.

Chez les valides, les primes étaient de 30 000€ pour la médaille d’argent, et de 20 000€ pour le bronze.

Et chez nous, chez les paralympiques, le médaillé d’argent gagnait 10 000€ et le 3e gagnait 7 500€.

C’est là qu’on voit réellement la différence entre les valides et les non valides. Nous, on a encore plus de frais. Ma chaise, par exemple, coûte 15 000€. Donc il faut trouver des sponsors et essayer de se débrouiller. On est obligé de trouver des solutions, des partenaires ou des crowdfundings, sinon le matériel devient hors de prix.

Quelles sont les différentes catégories des athlètes non valides courant en chaîne roulante ?

Au total, il y a quatre catégories. T51, T52, T53 et T54.

Un paraplégique est une personne paralysée des membres inférieurs, et un tétraplégique, c’est une personne comme moi, donc paralysé au niveau inférieur et au niveau supérieur.

Je n’ai pas d’abdominaux et j’ai une paralysie partielle aussi au niveau des mains. Étant paralysé autant en haut qu’en bas, je suis dans la catégorie T51.

T54, ce sont des paraplégiques ou des personnes amputées, mais qui ont tous leurs abdominaux. Léa Bayekula, athlète belge, se situe dans cette catégorie.

Léa Bayekula, et son coach Claude Issorat

Dans la catégorie T53, ce sont des paraplégiques qui n’ont plus d’abdominaux ni de membres inférieurs, mais ils ont leurs épaules, bras, mains… Donc ils sont principalement paralysés des jambes et du tronc.

Et T52, ce sont des gens qui sont paralysés des jambes, qui n’ont plus forcément d’abdominaux et qui ont un souci à une main, à un avant-bras ou qui ont certaines difficultés sur les membres supérieurs.

Que faudrait-il encore améliorer dans notre pays pour que la performance soit favorisée ?

Dans un premier temps j’aimerais dire aux débutants de s’accrocher et de ne rien lâcher. Quand on veut, on peut. Et on finit par y arriver un jour ou l’autre, même si c’est compliqué.

Ce qu’il faudrait encore améliorer, c’est le soutien. On a un soutien, mais qui est différent de celui des valides. Et quand tu es débutant et que tu n’as pas de soutien, c’est encore plus compliqué parce que tu dois acheter du matériel or que tu n’as pas forcément les finances. Et enfin, tu dois trouver les sous pour pouvoir partir en compétition.

Je pense qu’il y a beaucoup d’athlètes qui passent à côté de beaucoup de choses parce qu’ils ne sont pas motivés, parce qu’ils n’ont pas de solution pour pouvoir performer, pour pouvoir s’entraîner, pour pouvoir même trouver un coach… Parce qu’on n’a pas spécialement d’infrastructures !

Par exemple, je m’entraîne à Liège, mais je n’ai pas de coach sur place pour m’entraîner.

Ma coach, Pascale Henkinbrant, vient du côté de Namur. Je suis passé par une association qui achète des prothèses pour les personnes amputées… Ma coach entraînait là, et c’est donc là que tout a commencé. Mais c’est clair que ça reste compliqué pour nous de trouver quelqu’un de performant, qui est formé, disponible et qui est à proximité.

Roger Basch, et sa coach Pascale, photographiés par Gilles Dehérand

Ce n’est pas comme si je pouvais partir, par exemple, avec les valides à Belek, et qu’il y aurait un coach directement présent sur place pour m’y entraîner.

Intégration

Ce qui serait vraiment bien aussi, ce serait d’avoir une intégration par rapport aux valides. Par exemple, quand les valides font un stage, ce serait intéressant de directement nous proposer de partir avec eux. Parce qu’on souhaite également être avec plusieurs personnes plutôt que de partir tout seul en stage.

Et même au niveau des infrastructures… On paie plus cher, car on est seul à prendre les chambres. Là je suis parti à Belek, en Turquie, avec le reste de la délégation et c’était vraiment chouette !

Comment gères-tu ta vie de papa et d’athlète ?

Quand les enfants sont à l’école, j’en profite pour faire mes entraînements.

Je m’entraîne plus ou moins 20 heures par semaine, donc de temps en temps, quand ils sont en congé, ils m’accompagnent sur la piste. Sinon, j’essaie toujours de faire ça tôt le matin avant qu’ils se réveillent, ou sur rouleau en fonction de la météo. Si je n’ai pas le temps en journée d’aller sur la piste, alors je fais du rouleau le soir quand ils font dodo pour essayer de passer un maximum de temps avec eux et tout de même pouvoir m’occuper d’eux.

Mais c’est clair que ce n’est pas toujours évident de pouvoir combiner les deux avec les compétitions, et le fait d’être souvent en déplacement.

Par exemple, je me suis séparé il y a un an, et si ma compétition tombe un samedi durant l’heure à laquelle je dois ramener les enfants, alors je n’ai pas le choix. Je dois annuler ma compétition.

Mes enfants restent tout de même une priorité. Je ne peux pas oublier mon aspect papa parce que mes enfants, eux, sont présents. Je pense que le temps passé avec mes enfants est bien plus important que le sport.

On connaît Roger en tant que recordman du Monde, mais cette facette de père, on en parle effectivement moins. Pourtant, vous avez l’air de bien vous en sortir !

C’est vrai. Je me débrouille pas trop mal par rapport aux chronos que je fais, et par rapport à mon rôle de père. En sachant que je suis célibataire et je dois gérer tout ce qui se passe aussi chez moi.

Et d’ailleurs, comment a réagi votre fille quand elle a su que vous aviez battu le record du Monde ?

Elle sautait. Elle était toute contente. Elle a même écrit une petite chanson. Je pense que mes enfants sont super fiers de leur papa.


Comment se passe actuellement ta préparation pour Paris 2024 ?

J’étais un peu dans le doute en début de saison parce que ma situation était un peu compliquée, avec les enfants, et ma séparation… J’étais malade trois jours avant la première course que j’ai faite à Oordegem, donc je n’ai pas vraiment bien performé.

Ensuite, quand je suis parti dans le Sud, je me suis dit on verra ce que ça va donner. Les choses seront faites comme elles doivent être faites. Effectuer ce record en 19’’ 32, c’est clair que ça rebooste. On pense que, même si les entraînements ont été compliqués pendant toute cette période-là, j’ai tout de même bien travaillé. J’ai même perdu 8 kilos.

La qualification pour les championnats du monde qui auront lieu cet été à Paris est déjà faite. Et ça, c’est une bonne chose.

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