Selon Mariama Touré, la combinaison sport et ramadan existe. Il faut juste s’adapter

JOURNAL DE BORD D'UN ATHLÈTE

Réalisé par Trackandmemes, le 4 mai 2021

J’ai commencé l’athlétisme à 11 ans. J’étais inscrite au centre social et un des projets en cours était de chercher le métier qu’on voudrait faire plus tard. Je disais vouloir devenir athlète donc on a organisé un rendez-vous avec le club ASVEL, un club de Villeurbanne en banlieue de Lyon. J’ai rencontré mon entraineur qui m’a encadrée jusqu’à mes 22 ans.

Au début je touchais un peu à tout (cross, demi-fond, …) puis je me suis spécialisée à partir de cadette 1 au triple saut. La première année a été une année d’adaptation puis la deuxième année je me suis qualifiée au championnat de France. J’ai été vice-championne de France indoor en N2 au triple saut, donc les championnats de France pour les seniors. Cette année, mon objectif serait de participer au championnat Elite au triple saut. 

Au niveau de mon parcours en tant que préparateur physique, j’ai décidé d’aller en STAPS (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives) parce que le sport c’est ce qui m’anime quotidiennement. Puis j’ai commencé à entrainer les petits, donc de la catégorie poussin à benjamin. J’ai finalement eu ma licence en STAPS mais je n’étais pas sûre de savoir ce que je voulais faire ni si je voulais rester dans le sport donc j’ai continué mes études en entamant un master en préparation physique. J’ai d’ailleurs fait mon stage au Bron Handball et à l’heure actuelle j’y travaille en tant que préparateur physique pour deux équipes, une en nationale 2 et l’autre en nationale 3. 

En tant qu’athlète, comment as-tu vécu tes précédents ramadans ? Et comment vis-tu ton ramadan actuel ? 

De manière générale, la première semaine du ramadan est la plus difficile parce qu’il faut que le corps s’adapte, mais une fois que cette première semaine est passée, on se sent déjà mieux. Avant, il y avait une période où le ramadan était en été et c’était pour moi la période la plus dure. Durant cette même période il y avait les championnats de France. C’était un peu difficile de s’entrainer sous le soleil, sans boire de l’eau mais j’ai réussi à m’adapter et au fur et à mesure des années, on prend de l’expérience, on sait ce qu’on doit faire et ce qu’on ne doit pas faire mais également comment est-ce que notre corps réagit. Après, il y a aussi les entraineurs qui essaient d’aménager les séances en fonction du ramadan, donc on se concentrera plus sur l’explosivité, les entrainements seront plus nerveux que musculaires. Mais ces dernières années, le ramadan a lieu pendant le printemps ce qui favorise la combinaison sport et jeûne. Ce que je fais aussi, c’est que je me prépare physiquement avant de rentrer dans ce mois de jeûne, donc je vais jeûner et m’entrainer deux, trois jours avant pour voir comment réagit mon organisme.  

Lorsque tu crées le programme d’entraînement de tes athlètes, l’adaptes-tu en fonction du ramadan ? 

Oui. Au début j’ai commencé à faire un programme en mars sans anticiper le fait qu’il y allait avoir le ramadan. Donc deux trois semaines avant le ramadan, j’ai réalisé que ça allait être compliqué pour mes filles musulmanes de le suivre donc je l’ai modifié. L’objectif ce n’est pas qu’elles soient cuites pendant le ramadan. Le manque de sommeil, de nutriments et d’hydratation jouent déjà énormément sur la fatigue musculaire donc je ne voulais pas trop en rajouter. La plupart des personnes que j’entraine désirent perdre du poids, donc je leur fais principalement travailler le cardio à haute intensité. Par conséquent, ça entraine une perte d’eau importante donc j’ai décidé de combiner cardio et renforcement musculaire. Je leur fais faire 20 minutes de cardio puis je termine la séance par du renforcement. Comme ça elles continuent leur pratique et la séance est adaptée à leur forme du moment. 

Fais-tu un programme différent pour tes athlètes musulmans et non musulmans, ou alors tu donnes le même programme modifié à tous tes athlètes ? 

Je fais des coachings individuels donc le programme est également pensé pour chaque personne de manière individuelle, parce que les personnes ne réagissent pas de la même manière. Dans tous les cas, je sais qu’elles vont progresser, c’est juste qu’on va travailler différemment. 

En tant que pratiquante de cette religion, tu as l’impression de mieux comprendre tes athlètes durant cette période ? 

Oui, parce que je le vis depuis des années. Il y a des jours où tu vas te sentir super bien sans spécialement comprendre pourquoi, tandis qu’il y a d’autres jours où tu ne vas pas être bien, et dans ces cas-là c’est important d’écouter son corps ; prendre plus de récupération, abandonner certaines choses… C’est juste une période dans l’année et il faut simplement s’adapter. J’entraine que des femmes actuellement donc je pense aussi que c’est plus facile pour elles de se livrer. Pour ma part, c’est la première année que je fais le ramadan avec mon nouveau coach et pour l’instant les séances sont tenables, il n’y a pas de soucis. Et même mon ancien coach, il me demandait comment j’allais donc il n’y avait pas de problème à ce niveau-là. Après, pour les championnats de France il me demandait pour rire “ tu ne peux pas arrêter le ramadan pour les France ? ”, mais je continuais mon jeûne. Ça m’est déjà arrivée une fois, de ne pas jeûner pendant un championnat, mais j’ai fait deux records en faisant le ramadan donc c’est totalement possible de concilier les deux. C’est juste à moi de bien m’organiser. 

Adaptes-tu ton programme d’entraînement lorsque tes athlètes féminines sont réglées ? 

Je n’ai jamais été confrontée à cette situation. Après si la fille est vraiment dans le mal, je suis obligée d’adapter mon programme. C’est sûr. 

Que conseillerais-tu aux athlètes qui souhaitent continuer de s’entraîner durant le ramadan sans perdre leur niveau ? 

La récupération. C’est là que ça va être le plus décisif. L’hydratation, le sommeil, les nutriments, nous permettent d’avoir de l’énergie tout au long de la journée. Après tout dépend de la période de la journée où l’athlète fera sa séance. Mais le soir il faut vraiment se recharger en protéines. Éviter tout ce qui est nocif pour l’organisme, et tout ce qui n’est pas utile surtout. Il faut également essayer de faire une sieste pendant la journée, surtout lorsqu’on sait qu’on a une séance qui va nous demander beaucoup d’énergie, comme les séances lactiques, les séances de vitesse et les séances de musculation. Il faudrait essayer de dormir 6 heures minimum. En fait, pendant le ramadan, la nuit est un peu coupée car mange vers 5h20. Le temps qu’on se lève il est 4h40 et le temps qu’on finisse de prier il est déjà 6h du matin. Et la veille il y a également une prière à 22h donc on dort vers minuit. Ça nous fait plus ou moins 4 voire 5 heures de sommeil pendant la nuit, donc c’est important de trouver un peu de temps durant la journée pour faire une sieste. Même 30 minutes c’est suffisant. Les étirements, massages, bains froids, restent aussi important pour diminuer les tensions musculaires. C’est vrai que lorsqu’on s’entraine en groupe c’est compliqué de choisir si l’on souhaite s’entrainer le matin ou le soir, mais s’il est possible, l’athlète devrait faire la séance lorsqu’il se sent le plus efficace. Pratiquer des séances courtes et intenses serait à privilégier, contrairement aux séances longues et modérées. Ça permettrait de travailler de manière efficace et qualitative. Par contre, ce que je conseillerais aux coachs c’est d’écouter l’athlète parce que s’il tombe dans les pommes à la fin de la séance ça ne sert à rien, c’est contreproductif. Il faudrait limiter la perte musculaire aussi, continuer le renforcement et se reposer. 

Et que conseillerais-tu aux athlètes qui voudraient viser plus haut et carrément améliorer leur niveau durant cette période ? 

Pour moi, ce n’est pas le moment idéal pour faire des performances. Après c’est vrai qu’en fonction du calendrier, tu seras parfois obligé d’aller chercher la performance. Et là je parle principalement des athlètes qui font de la compétition. Dans ce cas-là, il faut adapter les séances pour être quand même performant, et c’est possible en plus. Je l’ai fait. Peut-être parce que j’avais mon poids de forme… Je perds beaucoup de poids pendant le ramadan. Il faut chercher la performance aux moments où les compétitions commencent, mais si tu n’es pas dans une période de compétitions, l’idéale serait simplement de chercher à garder les qualités physiques. 

Trouves-tu qu’on en parle assez de cette combinaison sport et jeûne ? Ou alors ce serait une réalité encore un peu dans l’ombre ? 

On n’en parle pas assez. Moi je n’ai jamais eu de conseils sur la combinaison sport et ramadan. Je ne savais même pas que ça existait, que c’était possible. Je me base sur mon expérience personnelle pour m’adapter. On est beaucoup de musulmans à faire du sport. Ça concerne beaucoup de gens au final. Et en réalité, la combinaison est possible. Il faut juste adapter les séances. Avec l’expérience, on apprend à connaitre son corps, savoir à quel moment faire telle ou telle pratique.

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