Réalisé par Trackandmemes, le 28 mars 2022
En réalité, en commençant ce sport tu es passé de 11.32 à 10.89 sur 100m en l’espace d’une année. Il est vrai qu’en athlétisme, on progresse très rapidement lorsqu’on débute. Mais toi, tu démarres sur un chrono assez solide. 10.89, ce n’est pas rien. Est-ce que ton coach de l’époque, en te regardant, voyait déjà le reflet du champion qu’on voit aujourd’hui ?
Je ne peux pas vraiment parler pour lui, mais quand j’ai commencé l’athlétisme, j’avais 10 ans de tennis derrière moi. J’avais une résistance physique assez grande due à mes 15/16h d’entrainements par semaine. Quand je suis arrivée dans la course à pied, on a surtout mis l’accent sur la partie technique ce qui m’a permis de progresser assez vite afin de compléter les bases déjà acquises.
J’aimerais zoomer sur cette compétition où tu repars donc avec l’or. Avant ta course, à l’échauffement, qu’est-ce qui s’est passé dans ta tête ? Est-ce que tu arrives à en avoir un souvenir imagé ? Ou est-ce qu’avant de courir, tu fais simplement le vide total et te contentes d’exécuter ce que tu as appris à l’entraînement ?
C’était une journée incroyable. Jusqu’au bout, je n’étais pas sûr d’y arriver. À l’échauffement de la finale, je commençais à avoir des crampes aux mollets… Ça m’était déjà arrivé l’année passée: mon record actuel en extérieur, 20.72, je l’ai fait en ayant des crampes tout au long de ma course. Je n’ai donc pas su courir à fond, et par conséquent, durant mon échauffement pour ce championnat de Suisse 2022, j’y ai repensé. Avec mon coach, on m’a massé et détendu en espérant que ça passe. Ensuite, j’étais focalisé sur ma course. Et ça a tenu, donc je suis content.
Pour cette course, je savais que j’étais favori, mais c’est une chose d’être favori, et une autre chose d’assumer le statut lorsqu’on doit passer à l’action. Je savais que les athlètes contre qui je devais courir avaient vraiment envie de gagner, et que c’était moi qui allais être chassé. Ça m’a donné de l’adrénaline et m’a aidé pour ma performance.
Tu marques donc la suisse en brisant la barre des 21 secondes en intérieur. C’était ta première fois sous les 21 ? Est-ce que tu peux dire que grâce à cette performance, et dans l’espoir que tout se passe bien physiquement, ta saison outdoor est sécurisée avec le cadenas ?
Oui, c’était la première fois.
La saison en salle sert à donner des perspectives sur ce qui pourrait se passer en extérieur. Je peux me permettre de rêver grand cet été. Les personnes qui, avant moi, ont couru sous les 21 secondes en salle sont des athlètes qui ont fait des demi-finales aux Jeux Olympiques, ou ayant couru en 20.40 en extérieur. Je me dis que moi aussi je peux y arriver. Je vais me servir des sensations que j’ai pu acquérir en salle pour prouver que je vais refaire une bonne saison à l’extérieur et pas qu’en salle.
Je me sens bien, niveau sensation et technique. Je vais maintenir cet état pour la saison d’été, et si je ne rencontre aucune blessure, je suis sûr d’atteindre mes objectifs.
Un jour dans une interview tu as dit que faire les jeux serait l’un de tes plus grands rêves. tu as dit «participer aux jeux, ça fait partie de mes rêves, il n’y a pas plus grand ». Je pense d’ailleurs que ce rêve est en cours de préparation… Mais dans une autre interview, tu dis avoir participé à une compétition pour gagner. Sinon tu n’y serais pas allé. Pourquoi est-ce que tu cours ? Est-ce que derrière l’objectif olympique, se cache une autre vérité ?
Avec les années et les expériences, la mentalité évolue. Avant, je voulais juste participer aux Jeux, mais maintenant je me dis que je peux rêver plus grand qu’une participation. Car si ce n’est que ça, je sais que je ne vais pas prendre plaisir. J’aimerais faire minimum les demi-finales à Paris 2024, en individuel ou en relais. Avec le temps, en tant qu’athlète, il y a une seconde carrière qui commence quand tu réalises que la plupart des limites que tu as, c’est toi qui te les mets. Lorsque tu prends conscience de cela, une autre énergie se dégage et ça ouvre des voies qu’il n’y avait pas avant. C’est une chose de le dire, mais s’en est une autre de ressentir profondément qu’en réalité, il y a moyen. Je commence à arriver à ce stade-là, où je me dis vraiment que pourquoi pas moi ? Cet état d’esprit vient avec les rencontres, les expériences …
Dans cet extrait tiré du célèbre film « coach carter », en résumé, l’athlète de basket-ball explique à son coach que c’est notre lumière qui libère les autres. Qu’on est tous destinés à briller comme des enfants, et qu’en brillant, on influence les autres à faire de même. Ensuite il remercie son coach. Est-ce qu’aujourd’hui et à travers certains témoignages tu as l’impression d’être une lumière pour ceux qui t’entourent ?
Je suis conscient que ce que je fais, je ne le fais pas que pour moi. Je le fais pour moi, mais aussi ceux qui m’aident au quotidien à faire ce que j’aime. Je me rends compte que mon approche, mes résultats et ma vision peuvent influencer certaines personnes. Je ne suis pas une super star donc ça reste une influence qui est limitée. Le message que je fais passer peut atteindre les gens. Moi, lorsque j’étais enfant et que je rencontrais une star locale par exemple, j’étais influencé par ça. Et grâce à ça, je réalise à quel point prendre conscience de son influence est important.
Quelle relation as-tu avec ton coach ? Et qu’est-ce que tu aimerais lui dire aujourd’hui, en vue de tout ce que vous avez pu construire jusqu’à présent ?
On travaille ensemble depuis deux ans et demi. Aujourd’hui, on est arrivé à un stade où on se connait très bien. On sait comment l’un ou l’autre fonctionne. Je suis quelqu’un d’assez intense, qui réfléchit beaucoup et avec beaucoup d’idées… J’avais besoin d’avoir quelqu’un capable de les accepter, et de s’entretenir avec moi tout en étant aussi focaliser sur la performance que moi. On se connait vraiment bien et ce qui me plait c’est qu’on soit sur la même longueur d’onde au quotidien. Il est tout le temps là pour me stimuler, et il ne me dit pas ce que j’ai envie d’entendre, mais ce que j’ai besoin d’entendre. Il arrive à mettre de côté les émotions, contrairement à moi. J’avais besoin d’un coach comme lui, stable. Et à ce niveau-là, je le considère comme mon roc.
Et ta réussite actuelle, tu la dédierais à ton nouveau pays qui t’a fraîchement accueilli ? À tes parents, qui t’ont légué leur réussite sportive afin que tu puisses prendre la relève ? Ou tes amis, tes proches qui t’entourent ?
Je la dédierais à tout le monde. Ça commence principalement par mes parents. L’influence première, l’aide-principale, c’était mes parents. Ils étaient sportifs élites et ce sont eux qui m’ont inconsciemment et indirectement donné cette envie de faire comme eux. Et encore aujourd’hui ils sont présents pour me soutenir, que ce soit psychologiquement ou financièrement.
Mon coach, mon groupe d’entrainement, mes physios, tous les gens avec qui je travaille au quotidien sont des personnes qui m’inspirent, et qui font que j’aime ce que je fais. Grâce à tout ça, je prends plaisir au quotidien. Je pense que si tu ne prends pas plaisir au quotidien, mais uniquement dans les moments où ça se passe bien, ça va être compliqué.
Ces derniers temps, il y a eu beaucoup de choses; un changement de nationalité… J’ai toujours été très bien accueilli ici. Je me sens vraiment suisse. Mes deux parents sont suédois, mais j’ai grandi ici. J’ai couru pour la Suède, car je n’étais pas encore suisse, mais en 2017 j’ai obtenu la nationalité. C’est à ce moment-là que la réflexion s’est installée parce que j’avais le choix de choisir le pays pour lequel je voulais courir. Maintenant, je cours pour la Suisse.
De la même façon qu’on passe un témoin lors d’un relais, et de la même façon que tes parents t’ont transmis leur passion pour le sport, est-ce que tu te vois faire de même pour tes futurs enfants si tu venais à en avoir ?
Bien sûr. Je pense que mon but serait de transmettre des valeurs, et il n’y a pas meilleure école de la vie que le sport. Ça peut paraître cliché, mais ce que je suis aujourd’hui, je le suis grâce à mon sport. Je veux leur transmettre les valeurs de mes parents, mais surtout les valeurs du sport. Comme mes parents, je ne vais pas les pousser, mais de la même manière que mes parents m’ont inspiré, j’aimerais les inspirer à mon tour. Mais ils feront leur choix.
Un seul mot pour définir la saison outdoor qui t’attend ?
Ambition
*Merci à mes yeux Marjorie de nous avoir fait découvrir Felix*